Saint du Jour 27 MAI SAINT BEDE LE VÉNÉRABLE CONFESSEUR ET DOCTEUR DE L'ÉGLISE (677-735)

En ce temps-là, les rives de la Wear et de la Tyne, en North-umbrie, dévastées aujourd'hui par l'industrie moderne et la recherche de la houille, étaient couvertes d'épaisses et sécu-laires forêts ; au milieu de leurs futaies, des hommes saints avaient, sur les terres offertes par la piété des rois et des sei-gneurs anglo-saxons, élevé de nombreuses abbayes, asiles de prière et de vertus. C'est dans un des soixante-dix domaines que le roi Egfrid avait donnés à saint Benoît Biscop pour l'en-tretien du nouveau monastère de Wearmouth, que naquit, en 673 ou 677, Bède le Vénérable. Son nom, en anglo-saxon, signifie la Prière. Peut-être ses parents, en le lui conférant, indi-quaient-ils l'orientation qu'ils désiraient donner à sa vie ; quoi qu'il en soit, il n'avait encore que sept ans lorsqu'ils le con-fièrent à Benoît pour l'élever parmi les moines. Peu après, celui-ci le remit aux soins de son disciple Ceolfrid, qu'il avait chargé de fonder, non loin de là, vers l'embouchure de la Tyne, à Yarrow, un second monastère. Bède était bien jeune encore, lorsqu'une terrible peste fondit sur la pauvre communauté, qu'elle consuma presque entière : seuls l'abbé et l'enfant survécurent ;
ce dernier a raconté comment tous deux n'en continuèrent pas moins, fidèles observateurs de la règle, à chanter, dans les larmes, l'office divin à toutes les heures canoniales, « non sans grande peine, » ajoute-t-il. Enfin l'abbaye se reconstitua par l'arrivée successive d'autres moines.
Benoît Biscop étant mort, Ceolfrid fut appelé à réunir les deux communautés sous son seul gouvernement ; il se fixa à Wearmouth. Bède cependant demeura à Yarrow, dont il ne devait jamais sortir, sinon, sans doute, pour quelques brèves absences motivées par ses études.
Car Bède fut un moine très attaché à sa règle et à toutes les observances, très pieux aussi, en même temps que très humble et très doux ; physionomie attachante, qui offre bien le type du religieux de ce temps, plus adouci cependant, peut-être par son contact avec les lettres, que les grandes figures des Aïdan, des Columba, des Colman, des Cuthbert, presque ses contempo-rains. Mais en même temps, — et c'est ce qui le distingue, — il fut un savant, non pas seulement pour son époque et son pays, mais pour le monde entier et pour tous les siècles. Il écrivait également en vers et en prose, en latin et en anglo-saxon ; il savait le grec, était versé en mathématiques, en sciences natu-relles, voire en médecine ; les classiques lui étaient familiers, les littérateurs comme les philosophes. Mais surtout il étudia toute sa vie et commenta l'Écriture sainte, et, avec un sens critique, avec un souci de l'exactitude et du document certain, bien rare, et même unique alors, il écrivit l' Histoire ecclésiastique de la nation des Anglais. Si, par ce dernier ouvrage, il mérite d'être considéré comme « le fondateur de l'histoire du moyen âge », selon l'expression de Montalembert, par ses commentaires il se rendit illustre et utile, dans son pays d'abord, et aussi dans toutes les contrées chrétiennes de l'Europe. Il y était lu, médité, admiré ; il y faisait loi. Aussi bien sa préoccupation constante d'orthodoxie le poussait à s'appuyer sans cesse sur la tradition des Pères, et, avec une touchante humilité, il reconnaissait leur devoir sa science et se défendait de vouloir s'attribuer leur mérite.
Ce qui l'incitait à ses études et à ses compositions, ce qui le soutenait dans le rude labeur de renseignement.qu'il donnait aux six cents moines des deux abbayes sœurs, c'était son zèle pour la foi et son amour pour la patrie.
Sa correspondance très étendue avec des moines, des évêques, des rois même, dévoile « quelle pieuse et patriotique sollicitude l'animait à combattre l'ignorance et la tiédeur des nouveaux catholiques d'Angleterre en leur facilitant surtout la lecture et l'intelligence de la Bible ». Mais en tout, histoire ou médecine, recherches chronologiques ou grammaire et métrique, voire même orthographe, c'est le même désir qui l'anime d'aider les âmes à s'élever par la science, et ainsi à se rendre plus capables d'arriver jusqu'à Dieu. Car la connaissance de Dieu et son amour, voilà le seul but qu'il croyait digne de l'homme. Il appréciait la science assurément en elle-même : « Parmi les observances de la vie régulière, dit-il quelque 'part, et le soin quotidien du chant de l'église, j'ai trouvé doux tou-jours d'apprendre, d'enseigner, d'écrire. » Mais c'est surtout comme un moyen de connaître mieux, d'aimer davantage, de faire plus constamment servir Dieu, le « Seigneur des sciences » (I Reg. 2 S), celui qui la possède, qui la fonde et qui la distribue aux hommes. Aussi la prière qu'il adresse à Jésus passe bien au-dessus des satisfactions que donne une heureuse et féconde étude : « Accorde-moi, bon Jésus, demande-t-il, après m'avoir permis de m'abreuver aux douces eaux de ta science, accorde-moi, dans ta bonté, d'arriver un jour à toi, source de toute sagesse, et de paraître pour jamais devant ta face. » Et le salaire, la récompense qu'il sollicite de ses lecteurs, la preuve d'amitié qu'il demande à ses plus chers correspondants, c'est « d'inter-céder instamment pour sa faiblesse auprès du juge miséricor-dieux ».
C'est dans ces travaux, dans ces sentiments que s'écoula toute la vie de saint Bède. Aucun événement notable ne la marque, sinon son ordination sacerdotale, reçue en 707 ; on ne sait pas qu'il ait eu aucune dignité, même dans son modeste milieu mona-cal. Il fut écrivain, il fut professeur, il fut un fervent religieux :
c'en est assez pour être devenu un saint, parce que, en tout, il a voulu, il a cherché, il a trouvé Dieu.
Cette vie paisible et pieuse se termina par une paisible et pieuse mort. Comme il convenait, jusqu'au dernier moment il fut moine et il écrivit. Son disciple Cuthbert l'a raconté avec une émouvante simplicité. Bède, tombé malade deux semaines avant Pâques de Tan 735, vécut dans une grande faiblesse jus-qu'à l'Ascension. Pourtant, toujours joyeux, gai même, il ne cessait de louer Dieu nuit et jour. Il ne cessa pas non plus de donner ses leçons. Après un court sommeil, il se mettait à prier et à remercier Dieu, les bras en croix; il chantait aussi des psaumes, des antiennes; ses larmes jaillissaient en prononçant certaines paroles de la liturgie, plus touchantes, et ses auditeurs pleu-raient avec lui. Pendant ces jours il entreprit deux ouvrages : des extraits d'Isidore de Séville et une traduction en anglais de l'Évangile de saint Jean. Le mardi avant l'Ascension, il se trouva beaucoup plus mal et ses pieds enflèrent. Pourtant il continuait de dicter gaiement en disant : « Pressez-vous d'ap-prendre, car je ne sais si je resterai longtemps avec vous. » La vigile de la fête venue, il ordonna de se hâter d'achever ce qu'on avait commencé. Un peu plus tard, ses disciples étant partis pour la procession, l'un d'eux resta ; il se nommait Wil-berth. « Maître bien-aimé, dit-il, il manque encore un chapitre.
Mais peut-être êtes-vous trop fatigué pour parler encore? — Je le puis, dit le malade. Taille ta plume et écris. » A l'heure de none, il envoya chercher les prêtres du monastère; il avait quelques petits objets dont il désirait leur faire présent : de l'encens, des épices, de petits linges : « Les riches du monde, dit-il, donnent des choses précieuses ; moi, je donnerai à mes frères avec grande joie et grande charité ce que je tenais de Dieu. » Il fit donc sa distribution, en demandant à chacun de prier et de célébrer la messe pour lui ; tous le promettaient en pleurant. Ainsi passa-t-il le jour. Le soir venu, Wilberth lui dit : « Maître aimé, il y a encore un verset à écrire. — Fais donc, ) > répondit Bède. Et quand Wilberth eut écrit : « C'est fini ! — Tu dis bien, reprit Bède, c'est fini. Maintenant prends ma tête dans tes mains et relève-moi: j'ai beaucoup de joie à regarder le lieu saint où j'ai tant prié, et je veux, ainsi soulevé, invoquer mon Père. » A demi étendu sur le pavé de sa cellule, il se mit à chanter une fois encore : « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit! » Et, ayant nommé le Saint-Esprit, il rendit l'âme.
Les moines décernèrent un culte à celui qui personnifiait si bien leur idéal ; ils attachèrent à son nom le titre de vénérable, qui lui fut conservé par l'Église. Saint Boniface l'appelait « l'investigateur le plus sagace des Écritures ». Alcuin écrivait : « Voyez le plus noble docteur de notre siècle, Bède : quel zèle il a montré dès sa jeunesse pour la science ! de quelle gloire il jouit près des hommes, bien moins grande cependant que sa récompense en Dieu ! » Le concile d'Aix-la-Chapelle, en 836, l'appelait « Docteur admirable ». Néanmoins ce n'est qu'au XIX ème siècle finissant que la reconnaissance de l'Église a digne-ment couronné ses mérites, lorsque le pape Léon XIII l'a ins-crit au nombre des Saints universellement honorés et lui a décerné le titre de docteur.